Québecor risque l’outrage au tribunal dans sa querelle avec Bell

© Jacques Nadeau Le Devoir L’entreprise de Pierre Karl Péladeau privera mercredi soir les abonnés de Bell de sa chaîne TVA Sports, diffuseur francophone exclusif des matchs de la Coupe Stanley.
Alors que la lutte pour l’obtention de la coupe Stanley commence mercredi, la guerre commerciale entre Québecor et Bell, elle, a déjà gagné en intensité. L’entreprise de Pierre Karl Péladeau privera mercredi soir les abonnés de Bell de sa chaîne TVA Sports, diffuseur francophone exclusif des matchs. Mais ce geste pour presser Bell à lui offrir, entre autres, un meilleur tarif de distribution pourrait mener Québecor à des accusations d’outrage au tribunal.
Mardi matin, Québecor diffusait dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec un nouveau message de sa campagne « Juste valeur », dans lequel l’entreprise annonçait le retrait dès 19 h mercredi du signal de la chaîne spécialisée TVA Sports pour les abonnés de Bell. La publicité, qui mettait en scène Bell comme l’instigateur de ces démarches, soulignait la « conduite antisportive » du distributeur.
Une approche que la présidente de Bell au Québec, Martine Turcotte, n’a pas appréciée. « Oui, les deux entreprises sont fortement en concurrence, il n’y a pas de problèmes là […] Mais personnellement, je trouve que c’est une insulte aux fans de sport de les prendre en otage. Et je peux vous dire que Bell a commencé et va continuer de prendre tous les moyens à sa disposition pour s’assurer que Québecor respecte la loi. »

Avantage : Bell

Dans un communiqué publié en début de soirée, Québecor n’a pas abordé le retrait du signal de TVA Sports, mais plutôt expliqué longuement ses arguments. « Bell, en tant que géant, n’a pas intérêt à ce que les règles changent et évoluent, car le statu quo l’avantage, y dit Québecor. Cette intransigeance de Bell a comme conséquence de mettre en péril les chaînes spécialisées et leur contenu. »
Mais la démarche n’est pas sans risque. Deux experts de la réglementation de la télédiffusion ont expliqué au Devoir que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) interdit de faire écoper le téléspectateur lors des litiges et qu’à la clé, Québecor pourrait être accusée d’outrage au tribunal. « Ce que le règlement dit, c’est qu’un exploitant de service facultatif — et TVA Sports est un service facultatif — ne peut pas retirer son service tant que le différend est en cours, a résumé au Devoir Michel Arpin, qui a été vice-président du CRTC de 2005 à 2010. S’il le fait, il se crée un préjudice, et c’est l’outrage au tribunal. »
Une conséquence que mentionne aussi l’avocate spécialisée dans le milieu des télécommunications, Suzanne Lamarre, du cabinet Therrien Couture. Dans ce cas précis, « Bell, la partie lésée, peut demander au CRTC de publier une ordonnance à l’encontre de la partie qui ne remplirait pas ses obligations, explique l’avocate qui a siégé au CRTC de 2008 à 2013. Cette ordonnance pourrait être enregistrée auprès de la cour fédérale, et dès lors l’inexécution de l’ordonnance serait un outrage au tribunal ». Le CRTC ne peut lui-même entreprendre les procédures, et il doit s’en remettre au ministère de la Justice, précise Michel Arpin.
Pour sa part, le CRTC a indiqué surveiller la situation « de très près », et rappelé qu’il avait donné lundi une directive exigeant de Québecor qu’il continue à offrir la chaîne TVA Sports aux clients de Bell. « Il y a une proposition sur la table, Québecor a refusé de répondre à notre proposition, soutient Martine Turcotte. Mais quand l’attitude de l’autre côté, c’est tout ou rien... »
Bell ne veut pas expliquer la stratégie qu’elle adoptera si le signal de TVA Sports est retiré et refuse de commenter les enjeux du litige, refusant de négocier sur la place publique. « Maintenant, on regarde toutes sortes d’autres avenues, lance Mme Turcotte. On va voir si Québecor décide de prendre en otage des fans de sports pour son propre bénéfice en violant la loi. L’expression personnelle de M. Péladeau, c’est “C’est fort de café”, mais je dirais que ça, c’est vraiment foutument fort de café. »

Les reproches

Pierre Karl Péladeau, le chef de la direction de Québecor, n’accepte pas le fait que Bell n’inclue pas TVA Sports dans un forfait populaire, appelé « Bon », où se retrouve pourtant RDS, une propriété de Bell et un concurrent direct de la chaîne sportive.
Québecor est aussi en litige avec Bell au sujet du tarif que lui verse le distributeur pour avoir accès à TVA Sports. La mésentente a fait son chemin jusqu’au CRTC, qui a tranché en faveur de Bell. Quatre critères sont pris en compte : le nombre d’abonnés, les cotes d’écoute, les investissements en programmation ainsi que l’historique de la chaîne.
M. Péladeau a réitéré dans son communiqué que ce dernier critère est « injustement avantageux » pour Bell en raison de son statut d’ancien monopole. « Québecor demande donc que les tarifs de distribution soient basés sur des critères de performance tenant compte de l’intérêt des téléspectateurs. »
À ce sujet, Michel Arpin est d’accord avec le patron de Québecor. « Ce critère-là ne devrait plus exister. Et ce n’est pas dans la réglementation, ce sont des critères qui découlent d’un énoncé politique et ça peut être facilement révisé. Et ça devrait l’être, le marché a beaucoup changé. »
Si la menace de Québecor est bien appliquée, les téléspectateurs qui voudront suivre les séries de la LNH devront se tourner vers les diffuseurs anglophones — Sportsnet et CBC — ou ultimement changer de fournisseur pour Cogeco, Rogers, Telus ou Vidéotron, propriété de Québecor. Les amateurs de l’Impact de Montréal, par contre, seront plus coincés.
À Ottawa, devant les journalistes, le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a renvoyé la balle au CRTC, « qui doit prendre les décisions là-dessus. Et je pense que ça va se faire de façon assez rapide ».
Par Philippe Papineau - Le Devoir

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