Signes religieux: un débat inutile, dit Chrétien

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La Presse canadienne
Par Joan Bryden

OTTAWA - Jean Chrétien estime que la classe politique québécoise est «prise au piège» dans un débat inutile sur un problème inexistant: comment accommoder les minorités religieuses?
Et l'ancien premier ministre prédit que la controverse quant à savoir si les fonctionnaires devraient se voir interdire le port de signes religieux finira par s'estomper et que le bon sens prévaudra.
«Lorsque vous posez (aux Québécois) la question: "Voulez-vous qu’ils perdent leur emploi?", (ils répondent) "Oh, non"», a déclaré M. Chrétien en entrevue avec La Presse canadienne.
Il s'agit d'un sujet brûlant au Québec depuis plus de 10 ans. Cet enjeu a conduit à une consultation d'un an sur les «accommodements raisonnables», la Commission Bouchard-Taylor, à la Charte des valeurs proposée par le Parti québécois lors de son bref passage au pouvoir et à la loi sur la «neutralité religieuse» adoptée en fin de mandat par le dernier gouvernement libéral, qui interdit à toute personne de fournir ou de recevoir un service public en portant un vêtement religieux couvrant le visage.
La semaine dernière, les libéraux ont subi une spectaculaire défaite au profit de la Coalition avenir Québec, qui a promis d'interdire aux fonctionnaires en situation d'autorité, dont les enseignants, les juges, les policiers et les gardiens de prison, de porter des signes religieux. Le premier ministre désigné, François Legault, a menacé d'utiliser la controversée disposition de dérogation de la Constitution, si nécessaire, pour outrepasser la Charte des droits et libertés et faire respecter l'interdiction.
M. Legault a également promis de réduire de 20 pour cent l'immigration au Québec et d'expulser les nouveaux arrivants qui ne réussiront pas un test de français ou de valeurs québécoises dans les trois années suivant leur arrivée.
Jean Chrétien a déclaré que le débat lui rappelait le bourbier politique qui avait abouti à la fin des années 80 et au début des années 90 à la demande du Québec d'être reconnu comme une société distincte dans la Constitution.
«Vous vous souvenez quand tout le monde était pris au piège dans le débat sur la société distincte, (j'ai dit) "Nous sommes coincés dans la neige. Que doit-on faire lorsque nous sommes coincés dans la neige? Se détendre, (rouler) un peu vers l'avant, un peu vers l'arrière et finalement vous êtes de retour sur la route", a-t-il illustré. Tout le monde était furieux que je dise des choses comme celle-là, mais il s'est avéré que j'avais raison. Je savais que le gars de Shawinigan s'en fichait éperdument.»
Les Québécois et les autres Canadiens ont fini par se calmer et sont passés à autre chose, et M. Chrétien prédit que c'est ce qu'il adviendra également du débat sur les accommodements religieux.
«Ça va disparaître naturellement.»
Cela se produira à mesure que les Québécois se rendront compte que l'interdiction des vêtements religieux peut entraîner des résultats «ridicules», a poursuivi l'ancien premier ministre, comme en France, où des femmes musulmanes ont été arrêtées pour avoir porté un maillot de bain intégral sur les plages, mais où il n'y a «pas de problème si vous êtes complètement nu».
Jean Chrétien a également soutenu que d'accepter la diversité est tout simplement plus pratique que de céder à la peur des minorités visibles et religieuses.
«Vous savez, vous pouvez avoir peur de tout si vous voulez avoir peur, a-t-il lancé. Beaucoup de gens ont peur des avions, mais finissent par prendre l'avion, car aller en Floride à pied, c'est un long voyage.»
En ce qui concerne la disposition de dérogation, que l'ancien premier ministre Pierre Trudeau a acceptée sur les conseils de M. Chrétien afin d'obtenir l'appui des provinces à la Charte des droits, Jean Chrétien a dit douter que François Legault et le premier ministre ontarien, Doug Ford, qui a également menacé d'utiliser la disposition, comprennent les conséquences d'un tel geste.
«Je ne pense pas que M. Legault en connaisse beaucoup sur la Charte des droits et libertés et M. Ford n'était certainement pas professeur de droit», a-t-il déclaré.
En 38 ans, aucun gouvernement fédéral n'a eu recours à la disposition de dérogation et M. Chrétien a dit croire que c'était pour une bonne raison: «parce qu'il y a un prix important à payer, en fin de compte».
Doug Ford prévoyait se servir de la disposition pour outrepasser une décision d'un tribunal relativement à une loi de son gouvernement visant à réduire la taille du conseil municipal de Toronto. Jean Chrétien s'est dit convaincu que le gouvernement Ford avait été «très soulagé» lorsque la décision avait été annulée en appel, rendant inutile le recours à la disposition de dérogation.


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